Françoise Tomeno

Françoise Tomeno

PRÉAMBULE


Il y a un peu plus d’un an, je prenais la décision d’ouvrir un blog, afin de rassembler dans une  même enveloppe, et de rendre publiques, deux séries de textes : les Contes Psychanalytiques et les Chroniques de Bistrot.

C’est la lecture du très beau livre de Georges Didi-Huberman, « Survivance des Lucioles » [1qui m’a convaincue que ces deux séries de textes avaient à vivre ensemble. Ces récits relèvent bien de ce qu’il nomme des « lucioles », des « parcelles d’humanité, le désir indestructible » [2].

Les Contes Psychanalytiques existaient déjà depuis un moment. Ils étaient presque achevés. Il s’agissait de petites histoires partagées avec des enfants, mais aussi avec des collègues, petits événements institutionnels qui auraient pu passer inaperçus, fantaisies à l'occasion de Journées d'Étude [3]. Ils avaient été écrits de la fin des années 80 jusqu'à l'année de mon départ à la retraite, en 2007. 

Les Chroniques de Bistrot, elles, étaient nées en 2005, lors de ma rencontre avec un certain Jésus, qui fréquentait un bistrot où je me rendais chaque matin avant de démarrer ma journée. Restée en suspens, cette petite chronique, « Le Trio », en attendait d’autres. Ce 14 juillet 2011, deux autres chroniques voyaient le jour. D'autres ne tarderaient pas à suivre. 

Une autre page est née il y a quelques mois. Me venaient souvent à l’esprit des récits ou des réflexions, qui ne relevaient ni des Chroniques de Bistrot, ni des Contes Psychanalytiques, et qui, pour autant me semblaient appartenir à ce champ des « Lucioles », témoignages à un titre ou un autre de minuscules parcelles de vie, qui ne prennent relief et couleur que de leur récit à quelqu’un. Je l’ai appelée « La Part des Anges ». La part des Anges est la partie du volume d'un alcool qui s'évapore pendant son vieillissement en fût. Tout comme l’alcool, nos souvenirs comportent cette part volatile, une part incontournable. Mais une autre part peut aussi s’envoler faute d’avoir été remarquée, et racontée. C’est de cette Part des Anges là qu’il s’agira ici, ce que j’ai appelé ailleurs, empruntant le terme à Georges Didi-Huberman, des Lucioles.

Des images ont peu à peu pris place dans ces pages. Tout comme les textes, elles n’ont pas de prétention artistique. Trouvailles croisées en chemin pour certaines d’entre elles, simple amusement  photographique pour d’autres, parcours entre ombre et lumière, entre flous et lueurs. 

Françoise Tomeno
24 novembre 2012



[1] Survivance des Lucioles, Georges Didi-Huberman, Paradoxes, Les Éditions de Minuit, mars 2010

[2] Pour en savoir plus sur ce qui m’a animée après la lecture du livre de Georges Didi-Huberman, lire sur ce même blog le texte « Lucioles ».

[3] Chacun a fait l’objet d’une communication, en particulier lors des Journées d’Étude de l’ALFPHV, Association de Langue Française des Psychologues spécialisés pour Personnes Handicapées Visuelles, association chère à mon cœur (communications publiées dans les Actes), ou d’une publication dans des revues (Cahiers de l'EPIC, Revue "Institutions").

LUCIOLES

En ces temps où, comme le dit Georges Didi-Huberman (1) , « les « féroces projecteurs » de la grande lumière (du règne et de la gloire) dévorent toute forme et toute lueur, - toute différence (2), « où  il y a tout lieu d’être pessimiste (…), il est d’autant plus nécessaire d’ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête de lucioles » (3)

Les rencontres qui font l’objet de ces récits ont été pour moi, lors même de leur surgissement, des lucioles qui éclairaient avec tranquillité la route que je partageais avec mes collègues. S’ils passent par là, ils reconnaîtront l’un ou l’autre, les rires, les inquiétudes, les partages, et ce sera mon clin d’œil adressé par-dessus les années qui passent.


Aujourd’hui où les temps s’assombrissent, où  exercer sa profession dans les secteurs du soin devient un véritable exercice d’équilibre, fragile, menacé à tout moment d’effondrement, ces petites histoires me reviennent comme une injonction à poursuivre dans la voie de cette attention aux petites choses de la vie, fussent-elles celles qui se déroulent dans les bistrots, où des parcelles d’humanité se développent souvent dans une absolue discrétion.


Il faut d’abord que quelqu’un soit là, dans une certaine vacance, pour se laisser surprendre par une parole, un déplacement, un léger changement dans les habitudes. Mais il faut, aussi qu’il y ait quelqu’un à qui le raconter. C’est ce qui s’est passé pour ces petits Contes Psychanalytiques.  «  Le sens d’une action », dit Hanna Arendt, citée par Georges Didi-Huberman (4), « n’est révélé que lorsque l’agir lui-même est devenu histoire racontable » (5).


Paroles agissantes  qui accueillent, entourent, engagent une rencontre, dans un cadre professionnel, dans un bistrot : « On n’aperçoit pas du tout la même chose selon qu’on élargit sa vision à l’horizon qui s’étend, immense et immobile, au-delà de nous, ou selon qu’on aiguise son regard sur l’image qui passe, minuscule et mouvante, toute proche de nous. L’image est luciola des intermittences passagères, l’horizon baigne dans la luce des états définitifs, temps arrêtés du totalitarisme ou temps terminés du Jugement dernier. Voir l’horizon, l’au-delà, c’est ne pas voir les images qui viennent nous effleurer. Les petites lucioles donnent forme et lueur à notre fragile immanence » (6).


J’aimerais que ces petites histoires d’enfances, ces petites histoires de bistrot, clignotent avec fantaisie, malice, et cependant avec toute la gravité des choses sérieuses, comme des petites lueurs dans la nuit.


Le livre de Georges Didi-Huberman est pour moi une de ces petites lucioles qui redonnent énergie, espoir. Pour conclure, je lui laisse encore une fois la parole : « Cherchons donc les expériences qui se transmettent encore par-delà tous les « spectacles » achetés et vendus autour de nous, par-delà  l’exercice des règnes et la lumière des gloires. Nous sommes « pauvres en expérience » ? Faisons de cette pauvreté même – de cette demi-obscurité – une expérience ». (7)



Françoise Tomeno
14 juillet 2011


(1) Survivance des Lucioles, Georges Didi-Huberman, Paradoxes, Les Éditions de Minuit, mars 2010
(2) Idem, page 99
(3) Idem, page 41
(4) Idem, page131
(5) De l’humanité dans de « sombres temps ». Réflexions sur Lessing, Vies Politiques, Paris, Gallimard 1974
(6) Georges Didi-Huberman, ouvrage cité, page 99
(7) Idem, page 108

En écho à Georges Didi-Huberman


« Pour moi, un brin d'herbe a plus d'importance qu'un grand arbre, un petit caillou qu'une montagne, une petite libellule a autant d'importance qu'un aigle. Dans la civilisation occidentale, il faut du volume. C'est l'énorme montagne qui a tous les privilèges ».
Joan Mirò